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L' Indifférence.jpg

Ils sont  bien des centaines plutôt bien des milliers

 Apeurés et tremblants dans ces barques brisées

Qui déchirent la mer pour une fin incertaine

Ils sont  bien des milliers, ils sont bien des centaines

 

Ils se croient surtout hommes mais ne sont que des nombres

Depuis la guerre leur sort est de se réfugier

Dès que tombent les bombes, il ne reste que des ombres

Comptés macabrement par les privilégiés.

 

La fuite monotone et sans hâte du temps

Survivre encore un jour, une heure, obstinément

Combien d’heures de marche, d’arrêts et de départs

Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir.

 

Et c’est à très grands frais, sur les bateaux  chargés.

Eplorés, angoissés, serrés et ballotés

Dans une nuit morne par la lune éclairée

Qu’Ils sont par les flots vifs  ou portés ou happés.

 

Ils n’arrivent pas tous à la fin du voyage

Ceux qui errent dans les rues peuvent-ils être heureux ?

Ils essaient d’oublier, d’affronter les barrages,

Ne sachant sur quelle terre ils pourront être vieux.

 

Un petit corps sans vie ramassé sur la plage

Fait pleurer un instant symbolisant l’horreur

Mais la mer efface tout, le temps pose son voilage

On leur souhaite prompt retour, qu’ils conservent leurs malheurs.

 

 

Les braves gens ont peur de la femme au  tchador

La renvoie, la méprise comme l’enfant  qu’elle porte.

En regardant au loin, prenant ce corridor,

Elle traque un  faible espoir, un qui la réconforte.

 

 

Ils sont impuissants ceux qui veulent vous aider

Contre ceux qui vous voient  des pilleurs, des voleurs

De peur du peu qu’ils ont d’être dépossédés.

Il en coûte beaucoup de donner sa chaleur.

 

 

J’entends le bruit des bottes et les sermons d’églises

Qui jouent du goupillon et  lèvent la matraque.

Chacun implore son Dieu, la mort dans sa valise.

Les terres de salut sont devenues des cloaques.

 

A ceux qui ont les larmes, on répond par les armes

On ne tend pas la main aux gens sans lendemain

Et qu’importe l’Histoire, son cortège de morts d’âmes

Pourvu qu’ les tout puissants demeurent souverains.

 

 

Ils sont des milliers à fuir misère et guerre

Ils sont les morts vivants  que nous charrie la mer.

Ils repoussent les frontières, ils sont déterminés

Ayant pour seule folie que celle d’exister.

 

 

 

 

Ils ont choisi de vivre contre l’adversité.

Ils tiennent dans leur bras la force de l’enfant

Pour qui ils doivent encore faire sonner et chanter

Les beaux jours d’occident aux couleurs de l’orient.

 

 

On me dit à présent qu’il vaut mieux être sourd

Qu’il faut les ignorer, vivre comme les vautours

Que le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire

Que chacun porte sa croix, qu’il n’y a rien à voir.

 

Mais qui donc est de taille à pouvoir m’arrêter ?

L’horreur est plus qu’humaine, une vraie déité.

Je joue avec les mots et parlent mes pinceaux

Contre l’indifférence et contre les tombeaux.

 

Je n’ai pas d’autre foi que celle que j’ai en moi

D’aimer les braves gens, de haïr les puissants

De plaider pour la vie, de maudire les effrois,

D’ hurler contre les sourds, d’éveiller les non-voyants.

 

Ils sont  bien des centaines,  plutôt bien  des milliers

 Apeurés et tremblants dans ces barques brisées

Qui déchirent la mer pour une fin incertaine

Ils sont bien des milliers, ils sont bien des centaines.

Inspiré par Nuit et Brouillard - J.Ferrat.

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